Splish, splash … Ils avaient un plaisir fou à me malmener dans l’eau de la piscine du coin. Qui va plonger le plus loin ? … Tata nage sous mes jambes … Tata je veux me mettre sur tes épaules pour t’enfoncer la tête dans l’eau ! Mes petits neveux m’ont bien brutalisée avant de me rejeter comme un vieux jouet dont ils se sont lassés! Moi je cachais mon plaisir de « tata indigne » à retourner me bronzer sur ma serviette couleur des iles. C’est que sur ce coin ci de la planète, le soleil devient si précieux vers la fin de l’été qu’on emmagasine pour toute l’année. « sekhzanagh itij » dirait ma grand-mère (j’emmagasine du soleil). Puis, il faut bien se préparer pour les six mois d’hiver qui s’en viennent !

Et pourtant, malgré tous ces plaisirs d’été, mon attention était souvent portée vers elle. Cette jeune femme au coin de la piscine avec son djilbab, (un hijab qui couvre tout) et sa ribambelle d’enfants. Ses enfants étaient habillés mais s’aventuraient quand même pour nager au bord de la piscine. Nous avons tous remarqué qu’ils ne savaient pas nager et que la jeune maman qui grillait sous un 38 degrés ne savait plus où donner de la tête.

Au fait, je n’étais pas la seule à garder un œil sur eux, un papa qui surveillait ses enfants se préparait à plonger à chaque fois que la plus jeune approchait le bord de la piscine. Elle devait avoir deux ou trois ans.

Les regards des gens de la piscine se croisaient souvent puis regardaient la femme. Une sorte de symphonie communicative des regards indignés ! Manque de civisme pour certains, mère irresponsable pour d’autres, une islamiste pour la plupart ! Je dois dire qu’avec ma sœur, nous avons aussi cassé du sucre sur le dos de cette femme, surtout de son irresponsabilité. Mais ma curiosité m’avait trop titillée, une pitié aussi de voir cette jeune maman seule et isolée se retrouver dans ce monde si différent d’elle.

Du haut de son perchoir, la maitre-nageuse, avec sa casquette et son maillot rouge avait l’air d’un gendarme qui a épuisé tous les gestes pour signifier aux enfants qu’ils ne pouvaient pas nager habillés. Mais ni la maman ni les enfants n’avaient comprit. On dirait qu’ils débarquaient d’une autre planète.

J’ai pris mon courage à deux mains, je suis sortie de l’eau et je l’ai approchée. Arrivée devant elle avec mon maillot deux pièces dégoulinant, la dame regardait mon corps dénudé comme un affront à son djilbab. Les yeux écarquillés de la jeune maman ne savaient pas trop où regarder tellement mon micro-maillot l’a mis mal à l’aise. Puis mon regard s’est imposé à ses yeux apeurés pour lui signifier que je suis là pour l’aider … J’ai essayé de puiser dans le répertoire des langues que je parle …ah elle parle arabe. Un arabe que je n’avais pas entendu avant. Elle vient de Libye. J’ai essayé de lui expliquer que ses enfants doivent porter des maillots pour pouvoir nager dans la piscine. Elle m’a dit qu’ils n’ont en pas et que c’est la première fois qu’ils voyaient une piscine. Ses enfants m’ont entourée avec leurs grands yeux noirs, le plus vieux devait avoir 8 ans. Il m’a suppliée en arabe de convaincre « la fille d’en haut » comme il dit de les laisser nager avec leurs longs shorts alourdis par l’eau. Je ne pouvais résister à sa bouille angélique. Mais « la fille d’en haut » même si elle était contente que je fasse la traductrice ne connaît ni « maarifa » ni « piston ». Elle est là pour représenter la rectitude canadienne. La loi c’est la loi et pas d’exceptions.

J’ai conseillé à la dame d’acheter des maillots à ses enfants et de revenir le lendemain. Mais comme elle ne parle aucune langue autre que l’arabe je lui ai demandé si elle connaît des gens ici, j’allais même lui donner mon numéro de téléphone. Elle m’a dit que son mari parle un peu anglais. Ils sont arrivés il y’a juste trois mois, ils sont de Misrata, ils ont fuit la guerre, ils ont fuit surtout Daesh m’a-t-elle lancé avec le regard de celui qui a fuit la mort! Sa petite me tirait la main pour me montrer sa petite culotte de Minnie-Mouse. Elle était prête à nager en culotte de Minnie-Mouse tellement elle était subjuguée par la piscine. La maitre nageuse ne voulait toujours rien savoir même avec une culotte de Minnie-Mouse! Moi la phrase « fuir Daesh » m’a abasourdie!

Je me remets à parler avec la maman, elle n’a pas voulut trop parler de ce qu’ils ont fuit. Mais son regard m’en a raconté un bout … On ne fuit pas Daesh sans risques et sans séquelles. La petite remit son pantalon qu’elle avait baissé pour me montrer sa culotte de Minnie-Mouse. Sa bouche à pris la forme d’un fer à cheval à l’envers … les autres enfants ont baissé les yeux, déçues de ne pas rentrer dans cette magnifique découverte qu’est la piscine.

Attristée par ces regards d’enfants déçues, je me tourne vers mes neveux qui se préparaient à quitter. Je leur demande de faire une bonne action, de donner leurs maillots aux enfants pour qu’ils nagent. Mes neveux qui ont plusieurs maillots chacun à la maison ne comprenaient pas qu’il y’ai des enfants qui n’ont pas de maillots encore moins qu’ils aient jamais vue une piscine. Il fallait qu’ils réfléchissent. Les enfants d’Amérique du Nord ça réfléchit longtemps avant de prendre une décision. Je voyais la famille quitter les épaules et le regard baissé … Heureusement que mes neveux ont accepté. Ils ont prit leurs maillots tout mouillés et ont courut pour rattrapent les garçons de Misrata. Ces derniers avaient de la magie dans les yeux en voyant les maillots ! Les jeunes maitres nageurs qui ont suivi le manège m’ont remerciée et étaient tout sourire de voir ce beau moment de partage. Moi je trouvais que ça faisait comme la fin d’une film de Disney ?

Le Canada est ce magnifique laboratoire du vivre ensemble où des gens de partout dans le monde débarquent avec leurs différences. Je présume que c’est des leçons d’humilité réciproques que nous subissons chaque jour et qui font tomber nos préjugés quand on sait mieux regarder et mieux écouter l’autre.

Comme dit ma mère, c’est ici le pays de l’islam ma fille! Tous les jours et à chaque rencontre mes préjugés fondent comme mon micro maillot … si ça continue comme ça je ne vais plus rien porter pour nager ?

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