Elle m’avait appelé d’urgence un soir de semaine. Mon amie s’était fait voler à Miami et n’avait pas le sou pour revenir à Montréal. Il fallait que je trouve un moyen de l’aider. J’avais donc jeté un gros manteau sur mes vieux pyjamas troués et j’ai bravé la neige. Google m’avait conseillé un des seuls endroits ou je pouvais envoyer de l’argent la nuit. Un quartier qu’on dit un peu chaud de Montréal; mais comme je n’aime pas stigmatiser les quartiers, je ne vais même pas le nommer.

L’adresse m’emmena chez un barbier. Pas un vieux barbier avec une grosse bedaine qui nous berce par ses histoires … Non, c’était un jeune gaillard de barbier noir assis avec beaucoup d’autres gaillards. De jeunes hommes qui se faisaient des dessins sur leurs têtes et qui avaient l’air d’avoir commencé à soulever des poids en même temps que leurs biberons.

Enfin, le genre de jeunes hommes qui décrocheraient facilement le premier rôle dans des films de gangster, des rôles de malfaiteurs bien sûr… C’est ce que Hollywood nous a habitués à voir et qui a du coup façonné notre imaginaire.  Moi je n’avais pas trop le choix, il fallait que je brave ces appréhensions … je pensais surtout à mon amie mal prise dans les rues de « little Havana ».

Il faut aussi dire que je ne suis pas trop « cue social » … Maman ce gars t’a parlé juste pour te draguer dirait mes enfants. Mais non il avait vraiment besoin de savoir l’heure …même quand il a une montre ou un cellulaire dans les mains! Même à un très jeune âge mes enfants savaient que j’étais « nia » naïve. Normalement ce sont les parents qui inculquent ce genre de choses aux enfants mais comme j’ai grandi avec mes enfants, on a fini par s’échanger les rôles de temps en temps.

Donc, chez le barbier de la nuit, j’ai juste désamorcé la symphonie des regards de ces gros bébés qui jouent aux gangsters. Il a suffi d’un gros bonsoir et d’une bouille de petite femme qui veut aider une amie mal prise …J’étais juste moi même …

Les gaillards ont tout de suite rangé leur dégaine de gangster ainsi que leurs rasoirs et leurs ciseaux. Leurs regards se sont adoucis et ils se sont mis à m’aider pour envoyer des sous vers l’autre bout de l’Amérique. Ils voulaient tout savoir sur mon amie mal prise dans les rues de « little Havana »!

Nous avions alors échangé sur leur quartier, sur les nouvelles coiffures, insulté toutes ces compagnies qui se font des sous sur notre dos quand on envoie de l’argent en urgence … pas un mot sur le racisme qu’ils vivent, ni sur leur quartier malfamé. Les jeunes avaient tellement de choses à dire sans qu’ils ne se sentent victime; sans verser dans le négatif …

En quittant, un des jeunes a serré ma main dans ses mains et m’a regardée les yeux pleins d’eau : Merci … merci d’avoir confiance en nous. Je n’avais pas vite saisi ce qu’il voulait me dire. Comme je vous le disais avant, je suis un peu lourde sur la gâchette parfois … Il s’est alors mis à m’expliquer que dans son quartier beaucoup de femmes blanches –ou de blancs tout court- évitent même le trottoir de son commerce. Leurs allures font peur, leurs grosses chaines dorées, leurs dessins sur la tête, leurs hoodies, leur démarche, leur langage et surtout leur peau noire fait peur … alors eux aussi finissent par user de leur apparence pour faire peur … parce qu’ils ont peur! Comme cet énième jeune tué aux États Unis juste parce qu’il est noir, juste parce qu’il fait peur … même s’il avait peur lui aussi!

J’ai vécu cette expérience il y a plus de 5 ans mais elle me revient souvent …surtout quand j’entends parler de ces jeune noirs tués comme ça … comme des mouches. Ces jeunes noirs ne demandent pas grand-chose au fait, juste qu’on mette un peu de « nia » dans ce maudit imaginaire. Un imaginaire façonné par des « idiots » qui ont divisé la race humaine par couleurs pour jouer au jeux des races et des couleurs!

Être naïf c’est quand même bien, même si c’est pour dire l’heure au passant avec une grosse montre … si non, comment briser nos solitudes et nos peurs !

2 réflexions précédentes sur “Un barbier la nuit.”

  1. omar aktouf dit :

    Beau témoignage ! Hélas, avec le «besoin impératif» de maintien de la terreur pour pallier aux défaillances de «la démocratie» et de l’économie, désormais endémiques et exponentielles en Occident, ce racisme anti Noirs et Musulmans va s’amplifier, durer, déborder…

    On va assister à une très rapide montée en force d’un nouveau «super nazisme» anti Arabes-Musulmans (alias ignares, profiteurs, non-intégrables, délinquants, obsédés sexuels, paresseux, terroristes, égorgeurs, misogynes…) et anti Noirs (alias violents, gangs de rues, proxénètes, voleurs, violeurs, dangereux, incultes, fainéants, inéducables…). Ce qui a été fait au Juifs durant la seconde guerre mondiale, je le crains, ne sera que «avant-goût» (voir comme «aperçu», ce qui se fait au Moyen Orient aux dits «migrants» – en réalité «victimes sinistrées des guerres pétro-impérialiste US-Occident- qui, déjà, sont soumis à au moins autant, sinon plus, de souffrances et de mort, que les Juifs au temps de la Shoah !!!!

    Ainsi va le monde qui se «mondialise» et se «civilise»…

    Omar Aktouf, Ph.D.
    Professeur titulaire – HEC Montréal
    3000 Côte Ste-Catherine, Montréal,
    Local 5207
    Québec, H3T-2A7, Canada.
    Tel. 514 340 63 48
    Fax 514 340 56 35

    • nzouaoui dit :

      Merci M. Aktouf tristement le marché de la « peur » est si lucratif pour tout le monde …sauf aux pauvres peuples qui subissent!

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